L’aménagement du territoire, la décentralisation et la gouvernance locale sont des enjeux cruciaux pour le développement durable du Togo. Ce document vise à analyser les mécanismes actuellement en place, les défis rencontrés, et à proposer une vision citoyenne pour une gestion locale efficace, centrée sur le développement humain, la participation et la redevabilité sociale.

Les pistes proposées capitalisent sur notre étude approfondie des pratiques dans le domaine, les tendances au plan international et ambitionnent de servir de fondement pour une réflexion approfondie sur les enjeux d’aménagement du territoire, de décentralisation et de gouvernance locale au Togo.

I. Contexte et Enjeux

Contexte Politique et Institutionnel

La décentralisation au Togo constitue un enjeu majeur dans le cadre de l’aménagement du territoire et de la gouvernance locale. Ce processus, qui vise à transférer des compétences et des ressources de l’État central vers les collectivités locales, a connu quelques évolutions depuis son initiation. Il est important de jeter un regard sur l’historique de la décentralisation, le cadre institutionnel actuel ainsi que les défis liés à une « décentralisation déconcentrée ».

Historique de la Décentralisation au Togo : Étapes Clés et Évolutions Législatives

La décentralisation au Togo remonte aux années 1990, période marquée par un vent de démocratisation en Afrique. En 1994, la première loi sur la décentralisation a été adoptée, établissant les bases de la création des collectivités locales. Cette première étape a été suivie par la loi n° 2007-002 du 12 mars 2007, qui a élargi les compétences des collectivités territoriales et a introduit le principe de la gestion participative.

Cependant, malgré ces avancées législatives, la mise en œuvre effective de la décentralisation a été lente et ponctuée de défis. La loi n° 2010-003 du 31 mars 2010 a marqué une étape importante en renforçant le cadre légal, mais des retards dans la mise en place des structures nécessaires ont persisté, entravant le plein exercice des compétences décentralisées.

Cadre Institutionnel Actuel : Rôle des Collectivités Locales, des Ministères et des Agences de Développement

Aujourd’hui, le cadre institutionnel de la décentralisation au Togo est marqué par une pluralité d’acteurs. Les collectivités locales, composées des communes et des régions, jouent un rôle central dans la mise en œuvre des politiques de développement à la base. Elles sont chargées de la planification et de la gestion des services publics locaux.

Les ministères, quant à eux, ont la responsabilité de coordonner les actions des collectivités locales et de veiller à la conformité des projets avec les politiques nationales. Des agences de développement, telles que l’Agence Nationale d’Appui au Développement à la Base (ANADEB), interviennent également en apportant un soutien technique et financier aux initiatives locales.

Une Décentralisation Déconcentrée : La Survivance de l’État Policier et de la Gouvernance Verticale

Malgré le cadre légal en place, la décentralisation au Togo est souvent perçue comme une « décentralisation déconcentrée », où l’État central conserve un contrôle fort sur les collectivités locales. Cette situation se manifeste par la persistance d’une gouvernance verticale, caractérisée par des décisions prises au sommet et imposées aux niveaux inférieurs.

La survivance de l’État policier, avec des structures administratives centralisées, limite l’autonomie des collectivités locales. Les élus locaux se retrouvent souvent dépendants des décisions des autorités centrales, ce qui entrave leur capacité à répondre efficacement aux besoins des populations. De plus, des pratiques de gouvernance économique de l’État central limite les capacités des entités décentralisées, notamment en ce qui concerne la décentralisation fiscale et la décentralisation technique. Les capacités contributives des communes sont limitées, surtout au niveau rural.

Le Cadre Légal et les Niveaux d’Amélioration

Pour que la décentralisation au Togo soit véritablement efficace, plusieurs axes d’amélioration doivent être envisagés. Tout d’abord, il est crucial de renforcer la formation et les capacités des élus locaux pour leur permettre de mieux gérer les ressources et de planifier le développement local. Ensuite, une révision des lois existantes pourrait être envisagée pour garantir une plus grande autonomie aux collectivités locales.

Enfin, il est impératif d’encourager une culture de la participation citoyenne dans le processus de prise de décision. Un meilleur engagement des populations dans les affaires locales pourrait favoriser une gouvernance plus transparente et responsable.

Des études récentes et des réflexions en cours au niveau du ministère de l’Administration territoriale, sous l’impulsion de la coopération allemande, recommandent la mise en place de nouveaux mécanismes. Parmi les préconisations, on peut retenir :

  • Le renforcement du processus de répartition des compétences entre l’Etat et les collectivités territoriales et la définition d’une stratégie progressive de transfert des moyens humains et financiers de l’État vers les collectivités territoriales ;
  • L’instauration d’un cadre global de formation des acteurs de la décentralisation et de gestion des RH des CT, en relation avec l’Agence Nationale de Formation des Collectivités Territoriales ;
  • La définition d’une stratégie de financement de la décentralisation et des politiques et services publics locaux alliant efficacement dotations de l’État, ressources locales et ressources extérieures ;
  • L’amélioration de la capacité des CT à délivrer des projets et services publics locaux via un renforcement de leurs capacités de maîtrise d’ouvrage (en propre ou au travers de dispositifs régionaux mutualisés) ;
  • L’amélioration de la qualité de la gestion administrative et financière des CT à travers une clarification des relations entre l’Etat et les CT, avec pour fondements un contrôle de légalité renforcé et une activité d’appui-conseil des services de l’Etat aux CT mieux exploitée.

En dépit de la pertinence de ces propositions, il est à craindre que leur implémentation rencontre des difficultés en raison de l’approche de la gouvernance au niveau central de l’Etat.

II. Eléments de diagnostic: cerner les défis de l’aménagement territorial et de la décentralisation

1.     Enjeux Sociaux et Économiques

Face aux disparités régionales croissantes au Togo, il est impératif d’analyser les enjeux associés à ces processus afin d’assurer un développement équilibré et équitable. Cette analyse tente de mettre en lumière les disparités régionales, l’importance de l’aménagement du territoire pour l’équité sociale, ainsi que les problématiques d’infrastructures et de gouvernance.

Analyse des Disparités Régionales en Matière de Développement

Les disparités régionales au Togo sont particulièrement marquées. Le sud du pays, notamment la région maritime, bénéficie d’un développement plus avancé grâce à une meilleure accessibilité et à la concentration des infrastructures. En revanche, les régions du centre et du nord, souvent rurales, souffrent d’un manque d’infrastructures et d’accès limité aux services de base. Cette inégalité d’accès crée des tensions sociales et freine le développement économique dans ces zones défavorisées. Les disparités régionales se manifestent également par des différences dans l’accès à l’éducation, à la santé et à l’emploi. Les zones rurales sont souvent confrontées à des taux de chômage plus élevés et à un accès limité à des opportunités économiques.Par ailleurs, l’Etat ne parvient pas à mettre en valeur les potentialités économiques propres à chaque région du pays. Des zones des régions de Plateaux, Centrale, Kara et Savanes sont laissées pour compte.  Ce constat met en évidence la nécessité d’une politique d’aménagement du territoire qui tienne compte des spécificités régionales et qui vise à réduire ces inégalités.

Importance de l’Aménagement du Territoire pour l’Équité Sociale et l’Accès aux Services de Base

L’aménagement du territoire joue un rôle crucial dans la promotion de l’équité sociale. Une planification territoriale efficace peut contribuer à une répartition plus équitable des ressources et des services. L’accès aux infrastructures de base telles que l’eau potable, l’électricité et les routes est essentiel pour le bien-être des populations. L’amélioration de ces infrastructures dans les régions défavorisées est indispensable pour garantir un développement inclusif.

Les projets d’aménagement doivent être centrés sur les besoins des communautés locales, en intégrant des approches participatives qui permettent aux citoyens de s’impliquer dans la prise de décision. Cela favorise non seulement l’appropriation des projets par les populations, mais aussi leur durabilité.

2.  Enjeux stratégiques

La Problématique des Infrastructures de Développement au Niveau Local

L’absence d’infrastructures adéquates constitue un obstacle majeur au développement local. Les routes impraticables, le manque d’établissements scolaires et de centres de santé, ainsi que l’insuffisance des services de transport, sont des problèmes criants dans de nombreuses régions du Togo. Cette situation entrave non seulement l’accès des populations aux services de base, mais limite également les opportunités économiques, exacerbe la pauvreté et contribue à l’exode rural.

Il est donc essentiel que l’État et les collectivités locales investissent dans des infrastructures durables et adaptées aux besoins des populations. Cela nécessite une planification rigoureuse et une allocation des ressources financières en tenant compte des priorités locales.

Le Problème de la Corruption et de la Mauvaise Gouvernance Généralisée

La corruption et la mauvaise gouvernance représentent des défis majeurs qui compromettent les efforts d’aménagement du territoire et de décentralisation au Togo. La mauvaise gestion des ressources publiques, le favoritisme dans l’attribution des marchés, et le manque de transparence dans les processus de décision sont des facteurs qui minent la confiance des citoyens envers les institutions. Pour remédier à cette situation, il est primordial d’instaurer des mécanismes de gouvernance qui garantissent la transparence et la responsabilité. L’implication de la société civile dans le suivi des projets d’aménagement et la promotion de l’intégrité au sein des administrations publiques sont des étapes essentielles pour lutter contre la corruption et renforcer la confiance des citoyens.

3.     Défis de la Participation Citoyenne à la gouvernance locale

La participation citoyenne constitue un pilier fondamental de la gouvernance démocratique, favorisant l’engagement des citoyens dans la prise de décisions qui impactent leur vie quotidienne. Cependant, au Togo, cette participation reste largement entravée par divers facteurs, notamment le caractère autoritaire du régime politique, la faible capacité de la société civile, et des mécanismes de consultation peu efficaces.

Caractère du Régime et Faible Participation

Le Togo, depuis plusieurs décennies, est marqué par un régime politique caractérisé par une centralisation du pouvoir et une restriction des libertés publiques. Ce contexte a eu pour effet d’amoindrir l’engagement des citoyens dans les affaires publiques. La peur de représailles et le manque de confiance envers les institutions incitent de nombreux Togolais à se tenir à l’écart des processus décisionnels. Les espaces de participation sont souvent perçus comme des formalités, limitant ainsi l’engagement actif des citoyens dans la gouvernance locale.

Capacités de la Société Civile

La place de la société civile est déterminante dans la promotion de la participation citoyenne. Cependant, au Togo, les organisations de la société civile souffrent d’un manque de ressources et de capacités. Cette situation limite leur efficacité à s’impliquer dans la gestion locale et à défendre les intérêts des citoyens. Bien que certaines organisations aient réussi à mobiliser des communautés sur des questions spécifiques, leur impact reste sporadique et souvent limité à des projets ponctuels, sans véritable intégration dans les processus de gouvernance.

Il est essentiel d’encourager une plus grande implication des citoyens dans la planification et l’exécution des projets locaux. Les citoyens, en tant qu’acteurs de leur développement, devraient être davantage consultés sur leurs besoins et priorités. Cependant, l’absence de mécanismes formels pour assurer leur participation effective crée un fossé entre les décideurs et la population. La mise en place de forums de discussion, de consultations publiques et d’ateliers participatifs pourrait renforcer ce rôle, favorisant ainsi une meilleure appropriation des projets par les communautés.

Évaluation des Mécanismes de Consultation et de Participation

L’efficacité des mécanismes de consultation et de participation au Togo reste à évaluer. Bien que des initiatives aient été mises en place pour encourager la participation des citoyens, leur mise en œuvre est souvent insuffisante. Les consultations sont parfois perçues comme une simple formalité, sans véritable volonté d’intégrer les retours des citoyens dans les processus décisionnels. Une évaluation rigoureuse de ces mécanismes est nécessaire pour identifier les obstacles et proposer des solutions adaptées afin de renforcer la participation citoyenne.

Transparence et Redevabilité

La transparence et la redevabilité sont essentielles pour instaurer un climat de confiance entre les citoyens et les institutions publiques. La gestion publique au Togo souffre souvent de manque de transparence, ce qui alimente la méfiance des citoyens envers leurs dirigeants. Des mesures doivent être prises pour garantir un accès à l’information, notamment sur l’utilisation des ressources publiques et les décisions prises au niveau local. La mise en place de mécanismes de reddition de comptes, tels que des rapports réguliers sur les projets et les finances, pourrait également encourager une plus grande participation citoyenne.

III. Solutions de ruptures : Quelques recommandations et pistes de réflexion

1.     Vision d’une nouvelle politique territoriale maîtrisée

  • Un aménagement du territoire axé sur les réels besoins des populations ;
  • Une décentralisation effective assurant la redevabilité et la participation
  • Adéquation entre gestion publique moderne et pratiques locales endogènes

2.     Promouvoir le Développement Durable

  • Intégration des dimensions sociales, économiques et environnementales dans les politiques locales.
    • Priorisation des investissements en éducation, santé et infrastructures de base.
    • Redevabilité sociale et nouvelles formes de développement communautaire

3.      Renforcer la Participation Citoyenne

  • Mise en place de plateformes de dialogue entre citoyens et autorités locales.
  • Promotion de la société civile comme acteur clé dans la prise de décision.
  • Mécanismes spécifiques d’évaluation citoyenne de la gestion locale
  • Femmes et jeunes dans les affaires publiques

4.     Assurer la Redevabilité Sociale

  • Développement d’indicateurs de performance pour évaluer les actions des collectivités locales.
  • Création de mécanismes de plainte et de feedback pour les citoyens
  • Études et recherches sur la qualité des services publique
  • Mécanismes de reddition de compte et de lutte contre la corruption

5.     Rôle de la chefferie coutumière dans la gouvernance locale

  • Les chefs traditionnels comme agents locaux de la gestion locale
  • Traditions et gestion locales : règlement de conflits, gestion foncière, etc..
  • Culture et développement : protection du patrimoine, arts et industries culturelles et créatives axés sur les potentialités des régions du Togo.